Archives expositions personnelles France
Archives expositions personnelles (E-F)
Dans le travail de Thierry Fontaine, différents niveaux de perception sont parallèlement générés par la symbolique de l’image, sa charge poétique et par la manière dont l’artiste l’élabore. Celui-ci pousse effectivement assez loin les instruments de ce que l’on pourrait appeler sa « fabrique de l’image ». Ce terme à la mode prend, dans ce contexte précis, un sens littéral. L’artiste se positionne en effet comme un artisan tant il a la particularité de préparer méticuleusement, laborieusement, un par un, les éléments de sa mise en scène. Il conçoit, parfois fait exécuter les objets nécessaires à l’évocation puis tente de multiples expériences jusqu’à obtenir l’effet visuel recherché. Il peut passer ainsi de quelques jours à de longs mois à natter de corde un grillage afin de réussir à le brûler en ayant le temps de capter l’effet du feu (Johannesburg, 2009). Effet impossible en réalité, mais ô combien subjectif d’une image transcendantale, d’autant que le spectaculaire est renforcé par la taille gigantesque, de 3,50 m de long, accordée à l’image.
De temps en temps, il va dans un coin reculé de l’univers juste pour faire fabriquer des objets porteurs d’un exotisme détourné. Par exemple, pour Vers le but (2006), il imagine une technique de crochetage à l’aide de coquillages pour tresse un filet devant contenir des ballons de football, et ainsi de suite. La référence à l’objet usuel est effective mais est qualifiée différemment par l’apport d’un matériau étranger dont la connotation symbolique renvoie à une métaphore inédite. Au-delà de la vision, surgit alors une charge poétique en résonance avec la culture de l’artiste, ses origines du bout du monde et son errance de voyageur perpétuel. Si Thierry Fontaine est un artiste ultra contemporain dont le travail bruisse en lien avec les démarches occidentales les plus pointues, il fait corps avec sa culture et nous renvoie incidemment à l’endroit d’où il vient mais aussi où notre société l’a assigné au départ. En cela, il nous parle d’exotisme et pose la question socio-politique de nos codes perceptifs et des préjugés dont ils sont toujours prisonniers. Fontaine évite pourtant et à tout prix, semble-t-il, le politiquement correct. Il désarme avec élégance le cynisme des uns ou la tentative de récupération des autres car il sait intimement où il est et là où il souhaite placer son œuvre, inclinaison qu’il partage avec le poète martiniquais Edouard Glissant récemment décédé. Dans La longue traversée (2005), il figure d’élégants mocassins tressés et encombrés d’oursins surnageant sur une flaque d’eau de mer répandue sur le macadam. Par cette proposition visuelle il suggère l’exil et l’attrait pour cette métropole. Cependant, rien dans cette image ne rappelle la paupérisation et l’assujettissement postcolonial des populations d’outre-mer. De fait, il malmène et renie les sous-entendus qui accompagnent souvent notre compréhension du sujet. Bien au contraire, il évoque plutôt un dandysme artistique et une liberté transgressive. […]
Abruptement une question surgit de ces situations: peut-on précisément déterminer qui est le vendeur et qui offre à l’autre l’illusion du bonheur? Est-ce nous-autres, occidentaux qui obligeons le reste du monde à accréditer nos valeurs? Ou bien est-ce cet indigène nonchalant qui propose au touriste de lui « refourguer » son propre reflet en l’attirant dans le miroir du désir?
Finalement, ni l’un ni l’autre: personne n’est supposé répondre à cela puisque Thierry Fontaine élève et transfigure nos frictions socioculturelles. Sa poétique submerge le sens et nous prémunit d’avoir à choisir. Réflexions visuelles porteuses de réconciliation, ses mises en scène sont non seulement belles mais apaisées. Ces images séductrices sont empreintes d’un ailleurs dont l’artiste manipule les codes pour changer notre angle de perception et parvenir à nous faire rire de nous-mêmes. Il nous livre subrepticement son « intime ailleurs », telle une version sublimée des colifichets que nous aimons consommer.
Extraits du texte de Christine Ollier, juillet 2013
L’art de Thierry Fontaine manipule les éléments constitutifs de l’image dans une volonté de réétalonnage sémantique, à l’instar d’autres artistes français des années 1980-90 qui ont cherché à redéfinir le statut de l’image et à ouvrir le champ de l’interprétation visuelle. […]
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31.10 - 30.11.2013
Exposition du 31 octobre au 30 novembre 2013. Galerie Les Filles du Calvaire, 17 rue des Filles du Calvaire - 75003 Paris . Tél.: +33 (0)1 42 74 47 05. Ouverture du mardi au samedi de 11h à 18h30.
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