Melissa Sanford, Le sel de la terre

Article dans le New-York Times, 13 janvier 2004
















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Salt Lake City, le 12 janvier -


Depuis près de trois décades, la Spiral Jetty dort sous les eaux du Grand Lac Salé. Depuis 1999, alors que la sécheresse a abaissé le niveau des eaux, cette célèbre « earth sculpture » américaine - une courbe enroulée de 1500 pieds (450 mètres) de blocs de basalte noir - a doucement refait surface.


Maintenant elle est complètement dégagée ; les rocs incrustés de cristaux de sel blanc sont environnés d’une eau rose peu profonde dans laquelle apparaît comme un vaste champ de neige.

























































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Exposition du 7 septembre au 2 novembre 2012. Rio de Janeiro, divers lieux (Brésil).

© ArtCatalyse International / Marika Prévosto 2012. Tous droits réservés


Expositions internationales en cours

Le nom OiR, "Rio" épelé à l'envers, se réfère précisément à l'idée de penser à la ville d'une autre manière. Le projet vise à relancer et rafraîchir la tradition d'appeler le regard d'un étranger sur le paysage de Rio de Janeiro, initiée lorsque les aventuriers et les explorateurs européens des premières expéditions ont amarré leurs bateaux dans la baie pour tenter d'explorer et de traduire les mystères de ce nouveau territoire. Plus récemment, cette tradition a été reprise dans les essais de penseurs illustres tels que l'anthropologue franco-belge Claude Lévi-Strauss et l'écrivain autrichien Stefan Zweig.

Selon Dantas, l'art public a aussi un aspect social important, car « il rassemble les gens de différentes classes sociales autour d'un concept qui leur redonne la faculté d'ouvrir les yeux à la nouveauté et à leur patrimoine propre, tout en créant des espaces uniques, des lieux de réunion et des points de repère dans la ville. »

Les oeuvres réalisées dans la phase initiale du projet sont inspirées par le thème "Le Milieu", qui, selon les mots du conservateur, se concentre sur « l'espace que nous occupons, ce qui nous unit.. »







Archives 2004 - La Spiral Jetty de Robert Smithson

En 1970, quand Smithson construisit la Jetée, qui est considérée comme son oeuvre maîtresse, la spirale géante noire contrastait fortement avec la couleur garance des eaux du lac. Mais le temps et la nature ont laissé leurs marques.

Des milliers de gens sont venus contempler cette oeuvre d’art difficile d’accès, tandis qu’un débat animé avait lieu à 2.000 miles (3.200 km) de là sur le fait de la laisser en l’état ou de la restaurer.

« La spirale n’a pas l’aspect dramatique de son époque d’élaboration », dit Michael Govan, le directeur de la Fondation Dia Art à New York, qui connaît l’oeuvre. « La Jetée a été submergée par une mer de sel. »

Pour s’assurer que la Spiral Jetty sera accessible aux futures générations, la fondation Dia, qui expose et protège des oeuvres d’art depuis les années 60, a pensé la surélever en lui ajoutant des rochers. Dia se demande également si la nature pourrait rétablir le contraste originel de la Jetée en dissolvant une partie des cristaux de sel lors d’une immersion quand l’eau du lac remontera, ou si la fondation devra faire plus.

Mais l’idée de toucher à l’oeuvre inquiète certaines personnes. Et les souhaits de l’artiste, qui mourut dans un accident d’avion à 35 ans en 1973, ne sont pas évidents. « Quand on restaure des earthworks, on ne cherche pas à créer une sculpture de cire pour le musée Tussaud (équivalent du musée Grévin de Paris à New York), » réplique Robert Storr, formateur sénior curateur au Musée d’art moderne de New York et professeur à l’Institut des beaux-arts de l’université de New York. « Les oeuvres environnementales n’ont pas été créées pour durer éternellement. Il y a un risque quand on les restaure de faire quelque chose de plus parfait que n’était l’original. »

Smithson a bâti la Jetée en spirale dans le lac le plus salé de son pays. Il a choisi un site appelé Rozel Point sur la plage du nord-est parce qu’il aimait la couleur rose foncé de l’eau, aspect provoqué à l’origine par des bactéries et des algues se développant là.

Rozel Point est situé à environ 100 miles (160 km) au nord-ouest de Salt Lake City, sur un territoire accessible par une route crasseuse de 15 miles (24 km) constellée de nids de poule géants qui peuvent pièger les petites voitures ; les véhicules 4/4 sont recommandés. La succession de Simthson fit cadeau de Spiral Jetty à la Fondation Dia en 1999, quand la pièce réémergea pour la première fois. « Le déplacement pour voir l’oeuvre amène les gens dans un lieu où ils ne se rendraient pas autrement, » dit Nancy Holt, la femme de Smithson et son exécuteur testamentaire, qui vit au Nouveau Mexique. « La Jetée est un vortex qui puise en chaque chose dans le paysage autour d’elle.

Smithson bâtit la spirale avec des rocs de basalte noir extraits de la plage et disposés à une hauteur juste au-dessus de la surface de l’eau pour que les gens puissent marcher sur l’oeuvre comme sur une digue. Il faisait partie des artistes qui, dans les années 60 et début 70, choisirent d’élaborer des oeuvres à l’extérieur, en relation avec l’environnement, dans l’ouest des Etats-Unis, loin du marché de l’art organisé par les galeries. Nancy Holt, artiste travaillant elle aussi dans l’environnement, a construit une pièce appelée Sun Tunnels (Tunnels solaires) près de la ville abandonnée de Lucin, dans un coin isolé à la limite du Névada. Smithson était en particulier captivé par l’idée d’entropie, l’inévitable désintégration de toutes choses dans la nature. Mais il n’existe aucune trace écrite de ce qu’il pouvait ressentir au sujet de la désagrégation de ses propres pièces.

Juste avant son décès, il exposa ses idées au cours d’une interview avec Moira Roth, présidente du département d’art au collège Mills d’Oakland, en Californie. Le texte intégral de l’interview a été inséré dans le catalogue accompagnant une rétrospective Smithson débutée en septembre au Musée d’art contemporain de Los Angeles (elle va être transférée au Musée des arts de Dallas, puis au Musée Witney d’art américain à New York en 2005). Au cours de l’interview, il dit que Spiral Jetty était assez solide pour se préserver elle-même, ajoutant qu’en raison de sa constitution à 80% de rochers, elle ne pourrait s’éroder complètement. Plus tard dans la conversation, il mentionne qu’il programmait ses pièces pour qu’elles soient pérennes et paraissait souhaiter qu’elles soient préservées. Nancy Holt fit savoir qu’elle était en accord avec cette interprétation.

Quand Smithson décida d’édifier Spiral Jetty en 1970, il embaucha un constructeur et d’autres ouvriers qui utilisèrent deux camions-bennes, un tracteur et une grande pelleteuse pour déplacer 6.650 tonnes de roches et de terre depuis la plage jusqu’à l’eau. Avec sa taille de 1.500 pieds (450 mètres), la spirale géante était assez imposante pour être photographiée depuis l’espace. Trouver un chef de chantier qui accepte de construire une immense oeuvre d’art dans un endroit aussi reculé tenait du pari. « Beaucoup d’entrepreneurs en Utah étaient méfiants à l’égard d’un artiste new-yorkais qui portait un pantalon noir au milieu de l’été », dit Bob Philips, l’entrepreneur d’Ogden qui en fin de compte accepta d’aider Smithson à transporter les blocs dans le lac. « Certes, ses idées me paraissaient effectivement étranges », dit M. Philips. « Je n’avais jamais entendu auparavant parler de quoi que ce soit sur l’art dans l’environnement. » Mais il comprit rapidement que M. Smithson était un artiste au succès extraordinaire. Un groupe vint observer l’édification de la sculpture pendant six jours. Des hélicoptères passaient au-dessus de leurs têtes. Une équipe de tournage vint filmer l’avancement du projet. M. Philips remarqua que Smithson en avait une vision précise et en supervisait chaque étape, s’assurant que les rochers étaient placés au bon endroit. « Il aurait voulu soulever chaque bloc et le faire tourner, puis il aurait bougé celui-ci, changé celui-là, jusqu’à ce que tout soit à sa place », dit M. Philips. « Il souhaitait que cela apparaisse comme un élément vivant, grandissant, émergeant du centre de la terre. »

A cette période, le Grand lac salé était inhabituellement bas à cause d’une sécheresse. Nancy Holt dit qu’après la montée des eaux, son mari avait parlé d’ajouter des rochers pour donner plus de visibilité à son travail. Au fil du temps, des cristaux étincelants de sel blanc se fixèrent aux rocs noirs. Les cristaux s’accumulèrent tout autour de la jetée, rendant l’espace entier d’un blanc éblouissant. « Il appréciait de voir que le travail était assez solide pour survivre à ces changements naturels, » dit Nancy Holt.« Il lui plaisait que ce processus naturel puisse être observé. »

La sécheresse dans l’Ouest des Etats-Unis - qui a débuté en 1999 - a déclenché envers l’oeuvre plus d’intérêt qu’elle n’en avait reçu au cours des précédentes décennies. « Nous avons tout le temps du monde qui demande où se trouve la Jetée en spirale », dit Noël Christensen, qui travaille à la station de gaz la plus proche, 30 miles plus loin, et a emmené ses quatre enfants une journée à Rozel Point l’été dernier. Pendant l’été, des visiteurs sont venus d’aussi loin que la France et l’Italie faire un pélerinage à la Jetty. Un jour en septembre, une famille de cinq personnes a flotté sur les eaux du lac au large des rochers. Deux hommes de Salt Lake City se déplacèrent au centre de la spirale où leurs labradors avaient plongé dans l’eau.

Mais tous ces visiteurs pourraient détériorer Spiral Jetty, dit Hikmet Loe, une libraire de Salt Lake City qui a pris l’oeuvre comme sujet de sa thèse de maîtrise et qui garde un contact permanent avec la Fondation Dia et Mme Holt. A cause du bas niveau du lac et des si nombreux monticules de sel, les gens et les animaux peuvent se déplacer entre les boucles au lieu de rester sur l’édifice de Smithson conçu pour marcher dessus. Mme Loe dit qu’elle souhaiterait que Dia protége l’oeuvre. « Si les gens marchent autour de la spirale et tapent dans les rochers, la forme de l’ouvrage va commencer à s’effriter », dit-elle.

Depuis des années, la fondation Dia prend soin d’autres oeuvres environnementales majeures comme le Lightning Field (le Champ foudroyé) de Walter De Maria, une installation de 400 baguettes de métal sur les hauteurs du désert au sud-ouest de New Mexico, également de quelques oeuvres moins importantes de Smithson. Mais les responsables de la fondation disent que rendre Spiral Jetty plus accessible est particulièrement compliqué.« Nous avons commencé à surveiller les environs, noté les dimensions de l’oeuvre et sa hauteur pour voir si nous avions besoin de quelque chose pour la restaurer, » dit M. Govan. « Tout ce que fait la Fondation doit être soumis à Mme Holt pour consultation, » ajoute-t-il.

Wally Gwynn, géologiste de l’Utah et auteur de Grand Lac Salé : un panorama de changement, qui a été publié par le département d’Etat des ressources naturelles en 2002 et parle de Spiral Jetty, annonce que l’oeuvre environnementale serait submergée à nouveau dès que la sècheresse en Utah prendrait fin. Mais il n’est pas convaincu qu’il soit nécessaire de rendre la jetée plus accessible. « Elle est beaucoup plus mystérieuse sous l’eau que quand elle est exposée », dit-il. « C’est un peu comme Nessie, le monstre du Loch Ness. On sait qu’il est là, même si nous ne pouvons le voir. »

M. Philips, le chef de chantier, qui était d’abord si méfiant vis-à-vis des projets de Smithson, est maintenant l’un des plus grands « fans » de l’oeuvre d’art. Quand la jetée a été submergée, il avait même envisagé d’ajouter des rochers de sa propre initiative. Mais il jugea qu’il serait mal de modifier la pièce en quelque manière sans que Smithson ne puisse superviser l’opération. « Smithson avait quelque chose à entreprendre avec chaque rocher là-bas. Ce ne serait pas la même chose si quelqu’un d’autre singeait son travail. Ce ne serait plus l’oeuvre de Smithson. »

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Melissa Sanford, Le sel de la terre - Article New York Times 13 janvier 2004